Les Origines des Égrégores
Il arrive que nous soyons absents en Loge.
Il arrive aussi que nous soyons présents, mais pas à nous-mêmes, complètement désordonnés, lorsque notre corps est en loge et notre esprit ailleurs…
Et dans ce cas-là, certains diront, en fin de tenue, qu’il n’y avait pas d’égrégore…
Nous avons pris l’habitude d’utiliser le mot français « égrégore » d’après le latin egregius et gregorius, défini ainsi par divers auteurs du XIXe siècle : « une excellence suréminente et collective ».
En fait, les Egrégores (au pluriel) apparaissent bien avant Victor Hugo ou Stanislas de Gaïta, sous le nom grec de gregoros, ceux qui veillent et non pas les éveillés qui eux seraient plutôt dans l’éminence et l’excellence de notre première définition du XIX° siècle.
Dans le Livre d’Hénoch, les Egrégores (gregoros dans le texte grec traduit de l’araméen) sont des anges qui descendent sur terre pour apprendre aux enfants des hommes à pratiquer le droit et l’équité. Ainsi, ces veilleurs ou ces vigilants diront, je cite : « Faisons tous un serment, et promettons nous tous les uns aux autres avec anathème de ne pas changer de dessein (…). »
La Force Collective en Loge
Ils feront cette promesse sur le mont qu’ils nomment Hermon en relation au mot herem qui signifie anathème (anathêma en grec). Aujourd’hui ces mots, anathème en français et herem en hébreu, ont pris le sens d’excommunication, d’ostracisme, d’interdiction, de blâme ou encore de discrimination, d’embargo et de boycott. C’est bien la preuve que le sacré fait peur, c’est bien parce que la libération de l’homme est toujours considérée comme dangereuse. En observant le sens premier de ces mots, il est question plutôt d’élévation par l’effort, le travail et le sacrifice.
Dualité et Initiation
Il n’est nul besoin d’expliquer longuement le sens des racines du mot « herem » qui est le même que celui d’Hiram. Les racines de ces deux mots expriment sensiblement la même chose que le mot grec anathêma qui signifie littéralement « placer en haut », les anathèmes étaient des offrandes, des sacrifices que l’on plaçait au sommet des colonnes du Temple. Pareillement, et même si les lettres diffèrent quelque peu, le nom Hermon indique l’idée d’accroissement (de montagne aussi au sens propre) avec cette même notion de don, de sacrifice au sens bien sûr de s’appauvrir pour s’enrichir.
Égrégores Aujourd’hui
Ce qui originellement était placé en haut a rapidement et radicalement été exclus… Mais revenons au livre d’Hénoch et à nos veilleurs sur le mont Hermon prêtant serment avec anathème d’instruire les hommes, et poursuivons cette lecture ésotérique en nous aidant d’une ancienne tradition kabbalistique qui révèle que les égrégores sont des esprits moteurs et créateurs de formes naissant de la respiration de Dieu.
Voici ce que dit Eliphas Levi à ce sujet : « Dieu dort dans la nature et le monde est son rêve. » En dormant, il aspire et il expire. Son souffle crée les égrégores, et il y a les égrégores de l’aspir et ceux de l’expir. Ces puissances spirées sont en lutte, et leur lutte fatale est éternelle, parce qu’elles sont les esprits des Elohim (c’est-à-dire l’ensemble des forces créatrices). Leur amour est une guerre et leur guerre produit l’amour.
Il a été dit à Schitan, chef des égrégores de l’expir : SOLVE, et à Schicad, chef des égrégores de l’aspir : COAGULA. » La lecture de cette tradition nous ramène à un principe que nous connaissons bien : Schitan et Schicad, dont il faut observer les racines, sont bien inséparables puisqu’ils naissent de la vie, de la même respiration. Ils sont à la fois opposés et complémentaires. D’où la formule alchimique « Solve – Coagula », processus de la manifestation universelle avec ses deux phases de solution et de coagulation, de condensation et de dissipation, de yin et de yang, de lier et délier, etc.
Observons les racines :
- Schitan s’écrit avec un SH (shin), un T (teth) et un N (noun).
Ces racines forment un verbe araméen qui signifie : agir comme un adversaire, s’opposer, accuser. Dans toutes les autres langues, il a donné le mot Satan que tout le monde connaît.
- Schicad s’écrit avec un SH (shin), un Q (qôf) et un D (daleth).
Ces racines forment un autre verbe araméen et hébraïque (saqad) qui signifie : lier, relier.
Maintenant, vous le voyez, les Egrégores sont bien plus qu’une énergie commune et convergente. Par leur action d’accuser et de relier dans un même temps et en alternance, les Egrégores représentent bien notre démarche initiatique introspective de construction et de déconstruction.
D’ailleurs, la légende le confirme en précisant que les veilleurs du mont Hermon descendent parmi les hommes au nombre de 200 (200 également, souvenez-vous, le nombre d’anathèmes, c’est-à-dire le nombre d’offrandes tout comme le nombre de grenades représentées en haut des deux colonnes de notre Temple).
Pour ceux qui nous ont transmis cette tradition, 200, c’est la lettre R (resh) qui comporte en elle toute idée de mouvement du renouvellement des choses par la destruction et la génération (mourir pour renaître, nous avons appris à le faire). Resh, par sa graphie courbe, c’est aussi l’humilité permettant de s’élever plus haut. Resh de valeur 200 est la pauvreté extérieure et la richesse intérieure. Resh, par sa hiéroglyphie originelle, est la tête, l’esprit manifesté, la conscience féconde. La conscience féconde… c’est peut-être cela qu’il faut entendre par Egrégores et c’est sûrement cela qu’il faut comprendre lorsque les veilleurs du mont Hermon, dans le livre d’Hénoch, promettent de s’accoupler avec les filles des hommes. La suite du livre nous apprend que ces filles prises par les Egrégores ont engendré des géants.
Ces légendes mettent en scène des géants, des ogres, des gorgones et autres monstres. Sous l’aspect de géants ou de monstres, Pierre Gordon, qui nous a donné une étude approfondie sur Gargantua, nous dit que « nous avons toujours affaire à des êtres surhumains qui, dans les entrailles d’une hauteur sacrée (notre mont Hermon), infusent à l’homme une vie nouvelle. »
Que nous avons toujours affaire « à des êtres dominateurs de l’espace qui accède au mana ultra-physique et en font bénéficier le groupe social où on les honore » (c’est la promesse de nos veilleurs du livre d’Hénoch). Pierre Gordon nous dit que le géant engendré surgissant de l’intérieur de la montagne sacrée, égale et domine désormais l’immensité de la nature physique.
Il est l’expression de la réalité initiatique de base.
Il nous dit aussi que ce nouvel initié faisant bénéficier le groupe social, est également l’initié initiant. Pas étonnant alors de rencontrer dans ce livre d’Hénoch une histoire de gigantisme puisque ce que nous savons d’Hénoch (Hanock en hébreu signifie initié), c’est qu’il est l’initié révélant par écrit à son fils Mathusalem l’ensemble de sa connaissance.
Cette petite recherche m’a encore donné l’occasion de découvrir des textes, des légendes, des noms et des nombres, et c’est bien là l’intérêt de chercher. Mais ma première motivation provient de cette petite phrase que l’on peut entendre en fin de tenue sur l’égrégore de la soirée et qui, je vous le dis, m’a toujours dérangé. Bien sûr, si une tenue est réussie et que nous en sortons heureux, nous ne pouvons qu’en être satisfaits. Ce qui me gêne, c’est que cette satisfaction puisse naître d’un phénomène impalpable et que cette force ressentie dans le groupe soit considérée comme une entité psychique autonome. Pourquoi ramener au plan collectif et culturel ce qui, à l’origine, est sensé désigner ce qui est d’ordre individuel et naturel, comme une respiration (Schitan et Schicad) ?
Et pourquoi refuser la nécessaire coexistence duelle des Egrégores au profit d’un soi-disant « bon » égrégore ou « mauvais » égrégore ?
Je crois qu’il faut encore se méfier des conventions et que cette vision et définition encyclopédique est malheureusement imprégnée d’une lecture exotérique de nos légendes et textes sacrés où anges et démons se côtoient, mais demeurent toujours… des anges et des démons.
La lecture ésotérique, elle, nous révèle que les anges et les démons sont des croyances, des fantômes que l’on interpose entre nous et la vérité. Elle nous révèle que derrière leur apparence angélique ou démoniaque, ils sont en réalité les veilleurs potentiels capables d’éveiller notre propre conscience.
Les Egrégores sont présents en loge non pas lorsque nous sommes reposés et dans la quiétude, mais au contraire lorsque nos esprits s’agitent et se questionnent. L’homme responsable, c’est-à-dire l’homme qui répond à son questionnement, est forcément un homme en mouvement, en marche. Son équilibre ne naît pas de l’immobilité, mais de la permanence de son déséquilibre.
Voilà à quoi servent Schitan et Schicad.
En d’autres termes, il ne peut y avoir d’Initiation sans Egrégores car les Egrégores sont nos propres révélateurs. Ils sont les agents qui « agitent les esprits qu’on ne peut satisfaire »…
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