Contradiction ?

Le Principe 12 de notre Charte Constitutive exprime que la Franc-Maçonnerie est la communauté des esprits contradictoires…

Je remercie nos pères. Ils ont bâti pour nous cet espace qui nous permet à tous la liberté de parole et, par là-même, la liberté de penser. Cette parole, nous l’offrons en partage, en échange. De nos arrières boutiques, de nos cabinets de réflexions, après une mystérieuse alchimie, s’éjecte un bloc d’individualité et engendre un morceau d’architecture déposé sur l’autel de la contradiction.

C’est une loge ! Notre loge !

De quelle histoire, de quelle conception du monde, l’ensemble que nous formons ici est-il le fruit ? Je peine à avoir une idée claire la dessus, sommes-nous unique ? Sommes-nous les mêmes que nos frères et sœurs qui travaillent en ce moment même dans une autre Loge, ou alors sommes-nous une forme différente dans un écrin commun ?

Sommes-nous un théâtre sur les planches duquel un metteur en scène invisible nous aurait poussé et mu par une étrange nécessité, nous réciterions les rimes d’un rôle non écrit ? Ou bien sommes-nous dans un sable mouvant où tout s’enlise et rien ne sort ?

La loge est-elle le centre de la nécessaire contradiction ?

La contradiction est-elle nécessaire ?

Il existe deux grandes visions philosophiques de la pensée humaine.

La première consiste à envisager le monde comme l’expression d’une permanence de vérités, mathématiques ou métaphysiques. Dans cette vision, la nature a horreur du vide et cherche en permanence à combler les espaces ou à rattraper les déséquilibres.

La seconde est basée sur l’évolution créatrice vers la libération et place la contradiction en moteur des progrès de l’intelligence. Cette vision est en mouvement permanent ou en friction incessante. C’est comme un bassin d’émulsion sans fin, voire sans but. Ainsi, la nature est évolutive au gré des échanges contradictoires de ses éléments, le dialogue entre le prédateur et sa proie, par exemple.

Ces deux visions de la philosophie humaine s’étendent jusqu’aux phénomènes naturels puisque la réalité englobe tous les possibles.

La Franc-maçonnerie, tout comme plusieurs autres grands courants de pensée, s’accomplit sur la nécessaire concordance de ces deux visions.

C’est, peut-être, dû au fait que la construction de notre Ordre s’est effectuée à partir de la terre et n’est pas issue d’une révélation abstraite du ciel ou d’un buisson aussi ardent soit-il, la Maçonnerie s’oriente dans le sens de la nature.

La géométrie est sa mesure, elle qui fut l’objet d’un dialogue permanent entre les tenants des différents bords. En effet, la géométrie porte en elle la notion d’immanence et de perpétuité et aussi la notion de relativité et de superficialité.

La Loge est l’une des représentations, à l’échelle de l’humain, de l’Ordre des choses. Très codifiée et très rigide dans son fonctionnement apparent, elle n’existe réellement que par la qualité des échanges qui s’y passent. C’est lors de ces échanges qu’agit le processus de transformation des individus qui la compose. Mais, les échanges ne sont pas possibles sans la structure qu’il convient à tout maçon de respecter, donc de connaître. Cette structure est décrite dans notre Règle commune.

Comme moteur de la connaissance, la contradiction devient nécessaire, la contradiction nous enrichit, nous fait grandir. Nous, cherchants de l’impossible, avons pour visée une explication complète de la réalité… Vaste projet, ambitieux mais pas dénué d’intérêt pour chacun de nous. L’objet de notre philosophie est la totalité de la réalité, la totalité du processus de développement de toute chose, c’est ce que certains ont appelé « l’Absolu » ou « l’esprit absolu » !

Cela implique de mettre au jour la structure rationnelle interne de l’absolu, de montrer comment il se manifeste dans la nature et dans l’histoire de l’homme et puis d’expliquer le but auquel tend l’absolu.

La logique qui régit ce processus est la dialectique, la dialectique qui veut que tout progrès ou évolution de l’esprit est le résultat d’une lutte des contraires. Ce mouvement perpétuellement inachevé puisque chaque chose génère son opposé, donne naissance à un point de vue supérieur à la vérité contenue dans les deux opposés. L’unidualité est au centre de notre démarche.

Ainsi, le sens de l’évolution est une libération.

La libération n’est-ce pas ce que nous venons chercher en Loge ?

Si les racines de la maçonnerie remontent jusqu’à l’antiquité et au-delà, Égypte, Grèce, Sumer, la pragmatique maçonnique doit pouvoir servir de trait d’union entre les époques et relier les grands mouvements du monde contemporain.

Cela est d’autant plus important au moment où la nécessité du dialogue entre les cultures s’avère de plus en plus indispensable. Notre pari est que le dialogue et la contradiction sont indispensables pour éviter la prédominance du centre et l’immobilité de la pensée unique.

La contradiction a un effet libératoire magique quand elle ne se limite pas au dialogue pour le dialogue, le sophisme ou l’affrontement pour l’affrontement, le bras de fer. La contradiction nous libère de nous-mêmes.

Elle nous extirpe du monde que nous créons et dont nous sommes objectivement le centre pour nous ramener à la réalité de l’autre.

Par la contradiction, l’autre existe. Et même si « l’enfer c’est les autres », le paradis, ce n’est certainement pas moi !

La magie opère, l’extraordinaire beauté de la vie, source de l’amour et promesse d’avenir, c’est l’apparition d’un autre monde, le monde de l’autre apparaît. Sorti du néant de mon aveuglement, je découvre la vraie lumière sur le chemin vers une perception de la réalité absolue.

La géométrie est-elle la mesure de cette réalité absolue ?

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