Platon, l’Initié

Platon en conversation avec un franc-maçon, entouré de symboles ésotériques et philosophiques
Dialogue intemporel : Platon et les mystères de la franc-maçonnerie

En lisant ce texte, vous serez transporté dans un échange intellectuel profond entre Platon et un initié contemporain, révélant les liens entre la sagesse antique et les principes maçonniques modernes.

Rencontre virtuelle avec Platon

Me voici, comme tous les matins, devant mon ordinateur … Tiens, encore un message e-mail bizarre. Je l’ouvre quand même :

« Bonjour, je suis Platon et je cherche un initié ».

Ma réponse fut immédiate tellement ma curiosité fut vive. Ainsi, le dialogue qui suit fut engagé.

– Bonjour, je suis un initié, je vis en France, soit plus de 2500 après l’année de votre naissance. Etes-vous vraiment le Platon qui est né à Athènes, qui rencontra Socrate (quel veinard !), qui est considéré comme l’un des philosophes les plus importants encore de nos jours, l’inventeur de la métaphysique, celui qui a osé critiqué les mythologies et qui s’est intéressé à l’homme dans la société ?

Critique de la mythologie et de la république

– Vous me semblez assez bien informé. Je suis curieux de connaître si dans votre temps et dans votre espace, les sociétés initiatiques perdurent, si les progrès de la société sont à l’image de ce que j’ai, un jour, imaginé, si ma pensée est réellement « immortelle » ?

– Si vous êtes vraiment Platon, sachez que tout ce que vous avez écrit me paraît être un véritable manuel de civisme, un manuel de sagesse, un traité de la connaissance de soi. Mais, si vous permettait une première critique, je pense qu’il y a toujours quelque faiblesse à dédaigner ce que l’on cherche à remplacer. Et, il est évident, pour moi, que la République visait à remplacer «l’Iliade et l’Odyssée» comme manuel pour l’étudiant athénien. Vous qui avez, quand même, chassé les poètes de votre République, vous fûtes assez malheureux ‑ ou heureux pour être victime à votre tour de l’incompréhension. Vous avez connu les prisons du tyran. Il en est ainsi de tous ceux qui, pour espérer trop des hommes et d’eux-mêmes s’engagent sur les voies de la Révolution.

– Ne voyons-nous pas, ne disons‑nous pas, ne pensons‑nous pas que l’injustice est profitable ? Qu’il suffit qu’elle soit assez grande et perpétrée d’assez haut pour conférer à celui qui la commet sécurité, honneur, profit, et même bonheur. Ma démonstration là-dessus est d’une belle force, n’est-il pas ?

– Oui, mais toutes les démonstrations sont à recommencer, et ne touchent que ceux qui sont capables de les mener à bien. Les États, comme les Individus sont des organismes. Ils sont les uns et les autres en proie aux convulsions que provoquent les besoins, les désirs, les passions et les rêves. Celui qui au lieu de travailler à dominer ces exigences, troublantes mais inéluctables, s’applique à les satisfaire, ne peut que succomber sous la charge. Nul être ne trouve la paix dans la satisfaction des désirs. Nul État dans la possession de la toute puissance.

– Ce qui menace l’état, c’est le désordre naissant de la démagogie.

Ce qui menace l’individu, c’est l’esclavage. L’un est victime de ses soutiens, l’autre de ses plaisirs. Car le désordre, la déchéance, loin d’apporter la satisfaction et la paix, multiplient au contraire, conflits et ruptures : violence, désordre, désarroi, désespoir, instabilité, angoisse, voilà le lot de l’état en proie à la tyrannie, du citoyen en proie à lui-même.

– L’injustice qu’est ce donc ?

– C’est simplement la reconnaissance, l’acceptation, des droits du désir, des passions, bref, des appels puissants, profonds, des sollicitations de la part des forces incontrôlées de l’être. C’est l’incapacité de maîtriser et d’ordonner les réactions, et les élans. L’injustice condamne l’état comme l’individu à être enchaîné aux formes élémentaires de la vie organique. La justice, elle, est génératrice d’un ordre supérieur. D’un ordre qui répond aux strictes exigences d’un équilibre intérieur, libérant ainsi état et individu de leurs servitudes animales, en les composant et les situant à leur rang et selon leurs vertus.

– Si je comprends bien, la justice est la voie de la liberté.

Liberté individuelle et rôle de l’état

– Qu’est-ce qu’un homme libre pour vous et en votre temps ? Est-ce un homme sans loi, vivant dans une société sans ordre, à sa fantaisie ? Ou bien une personne, consciente de ses devoirs comme de ses droits, qui agit conformément à ce que lui dicte sa raison et sa foi ?

– Il y a toujours confusion entre les deux manifestations : l’extérieur, et l’intérieur. On peut obéir aux lois, se conformer aux mœurs et suivre les règles et les coutumes, tout en demeurant libre. On peut affronter tous les tabous, se dresser contre l’ordre établi, se révolter contre toute contrainte, tout en étant esclave de ses impulsions, de ses humeurs et de ses passions. La liberté d’un être, lui seul en est comptable. C’est une affaire qui se règle au niveau des consciences singulières. C’est ce que nous apprenons en Franc-Maçonnerie, la dernière société initiatique dont les racines prennent naissance en Égypte, près du Temple de Salomon et dans la sagesse grecque.

– Alors, je suis heureux d’apprendre qu’il y a des hommes et des femmes qui continuent à chercher. Alors, je suis heureux de pouvoir vous poser la question suivante : «Du suprêmement injuste, et du juste parfait, quel est le plus heureux ?».

– C’est la question que pose Glaucon, me semble-t’il. Cette orientation n’est pas apparente. Il semble à première vue que ce n’est pas de liberté qu’il s’agisse, mais de bonheur. Comment répondre ?

Glaucon observe une particularité significative ; le caractère relatif des émotions. Nous ne ressentons pas de la même manière les injustices ou les abus, les bienfaits ou les circonstances selon que nous sommes là ou là, élevés à la dure, entourés de courtisans, ou efféminés. Au reste, chacun mesure ses fautes à son aune. Les êtres agissent sans connaître les conditions et les conséquences de leurs actes. Et ce qui est dramatique, c’est qu’ils sont contraints à l’action. Nous nous débattons dans un réseau de forces, d’influences, d’attractions ou de répulsions, dont seule une connaissance absolue pourrait nous révéler le sens et la puissance. Tout geste nous soumet à une nécessité extérieure, et nous agissons toujours en aveugle, car les lois de la nécessité nous échappent. Quel est le juste, qui peut se prétendre tel sans être parvenu à la connaissance du souverain bien ?

– Je dirai : si le devoir est des choses prochaines, et qui ne font point question, les bonnes intentions hélas ! ne suffisent point.

L’enfer en est le pavé. Mais alors, qu’est ce que la vertu, le courage, la piété ? Ces sujets sont actuels, embarrassants.

– Il est très important de savoir que l’on ne sait pas, que le sens commun, et la langue commune, tout en formant le point de départ de la réflexion philosophique, n’en forment que le point de départ, et que la discussion dialectique a pour but de les dépasser et de les surmonter.

Si j’ai bien compris l’enseignement maçonnique basée sur la symbolique ouvre les perspectives de la recherche par une forme de dialectique et plus sûrement philosophique avant de caresser l’ésotérique.

– La science véritable, seule digne de ce nom ne s’apprend pas dans les livres, n’est pas imposée à l’âme du dehors, c’est en elle-même et par elle même, par son propre travail intérieur que celle-ci l’atteint, la découvre, l’invente. Je n’ai jamais prétendu que la science et la philosophie soient accessibles à tout le monde et que tout le monde soit capable d’en faire. J’ai même enseigné le contraire. Mon enseignement contenait une épreuve et il permettait de séparer ceux qui comprennent de ceux qui ne comprennent pas.

– Peut être, avez-vous raison, mais si la vertu s’enseigne comme vous l’avez souvent indiqué, alors vous limitez les possibilités de tout homme volontaire, vous lui enlevez tout espoir.

Vertu, connaissance et ésotérisme

La vertu est le pouvoir de commander justement.

– Oui mais si le fait pour le cercle d’être une figure ne nous autorise pas à dire que toute figure est un cercle. Je ne suis pas du tout d’accord quand vous affirmez que la vertu n’est rien d’autre que le désir des bonnes choses joint au pouvoir de se les procurer. Allons, parlons de l’âme.

– Le mythe de la préexistence des âmes nous permet de concevoir le savoir comme une réminiscence, le savoir effectivement n’est qu’un ressouvenir. Éveiller dans notre âme une connaissance assoupie et inconsciente qu’elle possédait déjà par le jeu des Questions Réponses par l’instruction.

– Oui, c’est l’une des méthodes que nous utilisons et qui semble donner toute satisfaction.

– La vertu n’est pas enseignable.

– Vous vous contredisez une fois de plus.

– Pour la pratique, pour l’action, l’opinion vraie est l’équivalent du savoir. Mais pour la pratique, l’opinion vraie, tant qu’on la possède suffit ! Ménon ne sait pas penser car il n’a pas appris, car penser justement, raisonner correctement, en accord avec la vérité, c’est cela qui forme la science, et cela s’apprend et s’enseigne. Ce qu’il a appris lui, ce n’est pas le raisonnement correct, mais le discours persuasif, il n’est pas philosophe, il n’est que rhéteur. La vérité ne lui importe guère, ce n’est pas elle qu’il cherche, mais le succès.

– La démarche maçonnique est la recherche de la vérité. Ainsi, on s’aperçoit que le verbe ne crée pas, c’est la parole qui crée. Celui qui est doté d’une grande capacité oratoire impressionne certainement les foules, mais il ne trompe pas l’initié. L’initié sait que c’est la parole dite justement et au bon moment et d’une certaine manière qui est seule fondatrice, seule créatrice. L’homme se rapporte proprement au monde selon la parole, selon la parole qu’il profère ou que d’autres hommes lui adressent. Il s’agit de la parole, du langage, de nos phrases sans cesse échangées dans l’espoir de nous faire comprendre ou de comprendre le monde.

Le logos humain n’est pas un code, mais un mode d’être qui interroge et révèle le monde, nos phrases accompagnent nos états d’âme au sens le plus large, vivre quelque chose c’est aussi vivre ; dire cette chose, la nommer, la décrire, essayer de la saisir et de la faire saisir aux personnes dont nous voulons l’avis.

La maçonnerie ne commence donc pas par l’évidence et par ce qui va de soi, mais par la difficulté et par la remise en question des évidences, pour cela le cherchant doit être prêt à s’étonner et à s’émerveiller.

Car penser, rechercher la vérité, chercher à éveiller dans son âme le souvenir du savoir oublié, est une chose difficile, c’est une affaire sérieuse, cela implique un effort, et c’est pour cela que la pensée présuppose un amour, une passion de la vérité.

– Si Socrate a pu enseigner la géométrie à l’esclave de Ménon c’est par ce que dans l’âme de l’esclave, il y avait des vestiges, des traces, des germes du savoir géométrique. Les questions de Socrate ont pu les réveiller, les faire germer, porter des fruits.

– Vous me rassurez. Enfin, vous faites une ouverture à tous ceux qui le désirent quelle que soit sa condition… c’est une véritable révolution culturelle.

– Oui la vertu s’enseigne, puisqu’elle est science, mais elle ne s’enseigne pas à Ménon. Vos symboles ne vous apprennent pas le mal mais le bien, l’acte juste et pas l’acte malveillant. La vertu s’enseigne, mais encore faut-il que celui qui reçoit ait la volonté d’apprendre, de comprendre et d’intégrer l’enseignement de la vertu dans chacun de ses actes, même les plus petits, surtout les plus petits, et dans chacune de ses pensées.

– La science nourriture de l’âme ? L’opposition de Socrate à la rhétorique, celle-ci en effet fait paraître fort ce qui est faible, elle est donc l’art de produire l’illusion, or ce n’est pas d’illusion, c’est de vérité que l’on doit nourrir l’âme.

L’enseignement ne peut pas nous apprendre le but que nous devons poursuivre, à moins de nous dire que là encore nous devons nous conformer aux désirs de la communauté, et donc en fait d’abandonner toute prétention au savoir suprême alors que l’initiation est la transgression.

– Georgias met en évidence une dimension fondamentale de la sophistique, il s’agit d’un art de la persuasion. La technique rhétorique permet d’obtenir un assentiment nécessaire, elle sait présenter les choses, de façon à les faire accepter, elle se rapproche de la philosophie, puisque les raisonnements cherchent à exercer l’intelligence, mais aussi à convaincre.

– Pas pour nous, Francs-Maçons. Nous ne cherchons jamais à convaincre, mais à se reconnaître en établissant un rapport nouveau à l’autre basé sur des valeurs permanentes, traditionnelles.

– Oui, car la vertu implique une échelle des valeurs et n’est rien d’autre que la connaissance de cette échelle, la conduite vertueuse résulte nécessairement de la connaissance du bien, car pour Socrate savoir juger et agir c’est un tout.

– La tentative de déterminer les rapports entre la vertu et les vertus a fait faillite. Pour estimer que le savoir est quelque chose de puissant, et que la sagesse et la science sont les plus grandes des puissances humaines, il faut savoir que la raison est support de la symbolique.

– Nous pouvons bien connaître le bien et commettre le mal. Nous comprenons que cette conception est fondée sur l’ignorance du savoir véritable, et que, malgré ses dénégations, Protagoras estime le savoir comme une chose faible, et cela parce que il ne sait pas en fait à quoi la possession de la vérité diffère de l’opinion

Philosophie, éducation et la quête de Vérité

– La contradiction et le paradoxe sont purement apparents. Science et philosophie font deux, on peut être un très bon savant et faire de la très belle science, sans le moins du monde savoir ce qu’on fait. Socrate ne s’adresse pas aux femmes, il délivre les âmes, non les corps, opération d’autant plus nécessaire et difficile que ce qui n’arrive jamais aux corps. Les esprits accouchent parfois non pas d’un fruit réel, mais d’une simple et vaine apparence.

– Nous commençons tous et toujours par l’erreur, par l’oubli de nous-mêmes, et nous devons détruire l’erreur de pouvoir nous tourner vers la vérité qu’elle nous masque.

– C’est le pas de côté du Compagnon.

L’être vulgaire, mobile, instable et passager n’est pas ou est à peine l’objet de la science, mais tout au plus de l’opinion. La vie humaine, pleine et entière est impossible en dehors de la cité, un dieu peut s’isoler impunément, un animal aussi, mais non un homme, même s’il est philosophe. C’est ce que nous appelons la construction du temple intérieur et la construction du temple extérieur.

– Que faire si l’on ne peut ni vivre dans la cité, ni s’en abstraire.

Il n’y a qu’un seul moyen de sortir du dilemme, il faut réformer la cité.

Le savoir, toutefois, l’exemple de Socrate le prouve, n’est pas suffisant, il faut encore le pouvoir. N’est-il pas au contraire assez naturel ou du moins assez raisonnable de confier le pouvoir à celui qui sait distinguer entre le bien et le mal, la vérité et l’erreur, le réel et la fausse apparence, au philosophe plutôt qu’au stratège, au banquier ou au démagogue ? Le savoir a-t-il moins de droit d’exercer son influence sur la direction des affaires que le courage, la richesse, le talent oratoire, ou même tout simplement, la naissance et la tradition ?

L’idée que le philosophe doit être le chef ou le roi de la cité forme la base de la république telle que je la conçoit.

– L’éducation des sophistes, tout en donnant à ces adeptes une instruction bien supérieure, formait des arrivistes brillants et immoraux. La critique sophiste avait en effet, ébranlé et ruiné les vieilles notions traditionnelles de moralité patriarcales, et les avait ruiné sans rien remettre à leur place, et pis encore en mettant à la place du vieil idéal du courage, de l’honneur, du dévouement à la cité, l’idéal de la jouissance, du pouvoir, de la tyrannie. Il est facile de comprendre que la propagande de cette morale héroïque eut dans Athènes dans votre temps, autant de succès qu’en Europe de la fin du XIXe siècle, il est tellement flatteur de se poser en être supérieur, en maître, en héros, en fils de roi.

– L’orateur public, le politicien, c’est l’homme de l’illusion opposé à la réalité, l’homme du mensonge opposé à la vérité. Justice, vertu, des mots trompeurs que tout cela ; dans la vie réelle, il y a les forts et les faibles, des maîtres et des esclaves, ceux qui dominent et qui sont dominés, c’est ça la vérité.

La vie n’est qu’une lutte, l’homme juste aura toujours le dessous.

– Dans leur état de nature, dit Glaucon, les hommes sont animés d’un désir de jouissance sans limites, ils sont par nature portés à rechercher leur profit, et par suite à commettre l’injustice au détriment des autres, mais non à la subir eux mêmes, ils remarquent qu’ils ont plus de chances à subir qu’à commettre, aussi font-ils une convention où ils s’imposent de ne pas la commettre pour ne pas la subir. Or, la nature humaine n’est pas changée ni modifiée par cette convention, tous les hommes préfèrent l’injustice à la justice, car s’ils n’avaient pas peur du châtiment, s’ils étaient certains de pouvoir être injustes impunément, ils se conduiraient comme les pires scélérats. Le règlement n’est pas suffisant, il faut respecter une règle de vie, la Règle … et ne pas oublier de punir si l’on ne la respecte pas.

– Oui. Définir la justice et la vertu, le courage, l’honneur, établir l’échelle des valeurs qui doit déterminer notre conduite, établir l’essence du bien et de l’être, c’est par l’ésotérique que peut venir le salut, elle implique travail, discipline effort continu et constant.

– Rechercher et former, c’est long et difficile, et aléatoire, mais c’est la voie que nous a indiqué Socrate. La maçonnerie participe de cette voie ardue mais libératrice.

– La formation morale est aussi importante que la formation intellectuelle, mais ce n’est pas en leur inculquant des préceptes moraux que nous pouvons poursuivre cette formation. La formation intellectuelle supérieure s’accomplit dans et par le travail propre de l’intelligence, qui se pose ou qui se trouve des problèmes, et cherche à les résoudre, en mettant à l’épreuve sa qualité d’en découvrir et d’en voir la solution, c’est en leur posant des problèmes c’est-à-dire des tentations que nous pouvons exercer le sens moral, le sens du devoir.

Or, il est clair que c’est au soir de la vie, lorsque les passions violentes s’affaiblissent que l’âme, à condition qu’elle soit douée et préparée, est le plus capable de contempler la vérité. La sagesse est l’apanage de l’âge.

– J’espère que vous vous trompez. Les sages savent qui le doivent à ce savoir lui même que le prisonnier, échappé de la caverne où il ne contemplait que des ombres, est parvenu à la claire lumière, à la vision de la réalité. Il ne doit pas garder ses découvertes pour lui tout seul, et pourtant il ne peut pas revenir en arrière, ne pas redescendre dans la caverne, ne pas apporter aux autres prisonniers un reflet de lumière qu’il avait contemplé. Je crois sincèrement que celui qui sait, contrairement à votre mythe de la caverne, doit redescendre et aider les autres. C’est cela le devoir du Franc-Maçon. C’est cela la réelle maîtrise de la transmission-partage que nous désirons toutes et tous vivre.

– J’estime qu’une bonne éducation permettra d’inculquer à tous les membres de la cité une notion correcte de la hiérarchie naturelle et vraie des valeurs, le respect des meilleurs et surtout du savoir, c’est selon les degrés du savoir que s’ordonne la hiérarchie de la cité, les uns posséderont la vérité, les autres incapables de la percevoir et de la recevoir toute pure, elle sera départie sous des formes diverses, atténuée, affaiblie liée à l’imagination réduite à la forme du symbole ou du mythe.

– Permettez-moi une nouvelle fois de croire à la perfectibilité de tous et de chacun. Votre théorie de la tripartition de l’âme est à la fois banale et curieuse, elle reproduit la conception populaire de la division et de la localisation des puissances de l’âme : tête, cœur et ventre. Une âme sans passion ni colère, sans feu et sans flamme serait incomplète, imparfaite et impuissante, elle serait celle d’un homme sans courage et un homme sans courage ne peut devenir philosophe, ni même être un chef. Il faut rester, simplement, authentique.

Quand on verra à la tête de la cité des philosophes, vos philosophes qui, méprisant les honneurs, en les tenant pour indignes d’un homme libre et dénués de valeur, feront le plus grand cas du devoir et des honneurs qui en sont la récompense, et regardant la justice comme la chose la plus importante, la plus nécessaire, se mettront à son service, la feront fleurir et organiseront la cité selon ses lois, le monde ne sera plus. En tout cas, personne n’a jamais vécu cette époque et votre République n’est encore aujourd’hui qu’une Utopie.

Mais, il est vrai que c’est l’utopie qui fonde l’homme de demain. Espérons !

Espérer et tenter.

Car l’espoir que nourrissent certains de voir la cité réformée et sauvée par un homme d’état providentiel, un chef, est illusoire, absurde et contradictoire.

La science absolue comme la cité parfaite ne sont pas de ce monde, étant donné la condition humaine, l’imperfection humaine, il n’y a pour la cité humaine aucun salut hors de la loi

II faut faire ce que l’on fait, soit. Ce qui est une manière peut-être un peu elliptique de traduire la nécessité d’agir, l’incertitude des conséquences, et l’impossibilité du bonheur fondé sur les résultats de l’action.

Agis, mais détache-toi de ton acte !

Agis, mais demeure immobile au cœur de l’acte !

– II suffit d’ailleurs de vous suivre pas à pas, pour s’apercevoir que vous nous conduisez vers une conception du bonheur indépendante de l’action. La sérénité du sage, c’est le détachement, le refus des apparences, l’affranchissement des déterminations trop étroitement humaines du Bien et du Mal.

– Le tyran, comme l’esclave, ne peuvent- ils pas atteindre à la sérénité s’ils ont l’âme assez forte pour se libérer de la chaîne qui les rive à l’action ?

– Il existe une expression : « Je suis maître de moi comme de l’univers » dans la bouche d’un philosophe ancien pour moi et dans le futur pour vous qui s’appelle Corneille. La sérénité est celle d’un Empereur, c’est-à-dire d’un homme qui, par fonction et par nécessité, est au-dessus de ses actes. Un homme qui non seulement a agi, mais qui est, en quelque manière le point convergent de tout acte.

Ainsi, l’homme n’est heureux que s’il est au-dessus de sa condition.

Les apparences, la signification provisoire, temporelle de l’acte, les motivations, tout cela est secondaire. Le vrai jeu de l’âme est au-delà des contingences. Celles-ci sont au niveau de l’enfance, de cette enfance turbulente qu’est l’humanité moyenne.

L’homme est quelque chose qui doit être dépassé.

– Comment fonder une République ?

– A mon sens, il n’y a pas de surhomme dans l’homme, si ce n’est en perspective.

Il y a seulement des hommes qui ont la volonté de progresser et d’autres qui préfèrent la tranquillité de l’opinion et le secours de la masse.

Mais, comment s’y tenir ? En laissant aux hommes la liberté.

– Puisque Dieu n’a pas établi la République, il nous faut admettre, ou bien qu’elle n’est pas possible avec les hommes tels qu’ils sont, ou bien que les formes de gouvernement qui existent suffisent aux hommes.

– Le bon sens populaire n’affirme-t’il pas que les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent ?

– Comment nier que tyrannie, oligarchie, démocratie se succèdent sans quelque nécessité ? Leur périodicité exprime l’équilibre éphémère, certes, mais renouvelé, des désirs, des passions, des besoins et des rêves.

Est-ce encore le cas dans votre temps ?

– Malheureusement oui ! Parce que dans l’homme, le tyran et le poète vivent souvent de compagnie.

– J’ai toujours assimilé la vie intérieure de l’individu à celle de la cité.

Ne peut-on lui reprocher cette assimilation ? Est-il vraiment assuré que l’homme puisse atteindre à cette royauté de l’esprit, considérée comme la fin suprême, le but auquel tend l’existence ?

– Ne sommes-nous pas tous des Prométhée enchaînés ? Hérédité, famille, tradition, éducation sont autant de chaînes qui nous lient. Pouvons-nous construire notre personnalité, sans tenir compte de ces facteurs contraignants bien que nécessaires ? Pouvons-nous établir un régime politique indépendant des contingences, sans relations avec le passé, avec le climat, avec l’économie ? Seulement, voilà, l’homme peut agir sur son destin, il peut le faire en approchant la vraie lumière, celle qui éclaire tout et découvre chaque chose sous son vrai jour.

C’est là qu’il faut placer le mythe de la caverne. C’est bien le mythe de la condition humaine : esclave et soumise, tant qu’elle n’est pas éclairée.

C’est toute la démarche initiatique qui est comprise dans ce mythe. La maçonnerie nous aide à apprendre et comprendre qu’il nous faut briser ces chaînes.

– C’est le « souverain bien » qui oriente toute connaissance. Le soleil des idées éclairant toute chose et révélant leurs valeurs aux ombres comme aux objets, donnant à l’existence humaine son sens, son efficacité et la certitude à l’existence humaine son sens, son efficacité et la certitude de percevoir la vérité.

Mais nous sommes enchaînés ! Qui nous délivrera ?

Comment nous déferons-nous des liens qui nous retiennent ?

Certes, il n’est pas certain que l’homme délivré cheminera vers la lumière, éblouissante et cruelle, mais en a-t’il seulement le désir ? Il y a dans le corps de ce mythe une touche tragique, c’est celle qui permet d’évoquer le misérable, l’homme déchu que nulle flamme n’anime, et qui ne se dressera jamais pour seulement appeler la délivrance.

– Ce n’est qu’une question de volonté et de méthode.

La méthode, la maçonnerie nous l’offre. Il suffit d’être doté de volonté pour parcourir ce chemin. Je sais qu’aller vers la lumière est aller vers la pire des épreuves peut-être ? Celle de la vérité ou de la lucidité ?

II faut reconnaître pourtant que l’humanité a trouvé le moyen d’élargir, sinon de rompre ses chaînes. Ce courage, cette force, et cet espoir qui l’animent, ou qui l’ont animé ici ou là, qui ont inspiré là et ailleurs les meilleurs d’entre les hommes, ce noble effort, cette immense tension vers la vérité, cet appel reçu de la lumière, d’où reçoivent-ils leurs vertus ? Ce qui paraît évident, c’est que cette approche du vrai, l’humanité la poursuit gravement, souvent marquée par de lourds échecs, mais toujours recommencée. Le langage avili d’aujourd’hui dit : on n’arrête pas le progrès. Ce qui est une sottise. Mais ce qui est certain c’est que rien n’arrête la recherche.

– Me voilà rassuré. Si j’ai bien compris, vous vous servez d’outils, de symboles, de mythes et de légendes et si certain ne s’en serve pas, alors leur démarche est inutile.

– Oui, d’autant que notre appartenance est basée sur la liberté et non la contrainte.

Oui, d’autant que le coffre merveilleux qui s’ouvre de plus en plus à chacun de nos pas est à la disposition de tous et de chacun.

Or, c’est cette recherche de l’impossible qui donne sa vertu et son efficacité au possible, tant au niveau de la connaissance, que sur le plan de l’organisation.

C’est l’inaccessible qui fonde l’expérience, c’est le rêve qui permet la compréhension de la réalité.

Effort à la fois douloureux et serein ; cheminement lent, mais persévérant, quête instante, qu’aucune déception n’interrompt ; grandeur de l’homme, certes, orgueil aussi sans doute, mais source vive de toute sa raison.

Nous sommes les découvreurs de l’impossible.

La maîtrise et le pouvoir dans la Franc-Maçonnerie

– Peut-on simplifier, et dire, il y a ceux qui cherchent la vérité dans le monde, ou bien ceux qui la cherchent en eux-mêmes ? Distinguer seulement ceux dont l’effort vise à l’objectivité, à l’extériorité, et ceux qui visent à une intuition, à une analyse subjective ?

– Si l’on peut avoir quelque ambition, par la recherche subjective, c’est celle d’atteindre à la connaissance de soi, et par elle à l’exercice d’un pouvoir sur nous-mêmes. Inimitable dans ses cheminements, incertaine quant à sa valeur, et toujours solitaire, tant dans son expression que dans sa signification, cette recherche fait de l’individu un univers. Univers aussi dangereux que l’autre, et où il court autant de risques de se perdre. Les folies les plus redoutables sont peut-être celles de ceux qui ont cherché en vain, en eux-mêmes, et celles de ceux qui croient s’y être trouvés. L’impuissance et la paranoïa sont voisines. Dans cette voie, la sérénité est une rencontre fortuite, ce n’est pas une conquête méthodique.

– Mais l’autre cheminement, pour être moins égoïste en apparence, moins limité dans ses prémices n’en est pas moins dangereux, et sans doute aussi vain.

Les hommes pris dans leurs démarches, dans leurs calculs, ceux qui sont la proie de sollicitations extérieures, aux appels du monde, ceux-là, suivent aussi de rudes sentiers. Ce n’est pas qu’ils n’y puissent rencontrer la sérénité. Mais généralement, ce qu’ils trouvent, et plus aisément que les premiers, c’est une sorte de divertissement. L’oubli d’un moi trop lourd à porter, le détour, par la griserie de l’action ou les angoisses de l’attente, vers une voie d’évasion.

– J’ai la faiblesse de penser que le franc-maçon est un constructeur en toutes circonstances et qu’il n’est pas hémiplégique de l’initiation. Il est un cherchant pour être un agissant du mieux et non pas du plus.

– Rien n’a vraiment changé, à l’évidence.

Les religions transmettent des techniques. Toutes ont leurs codes d’exercices spirituels. La transmission, ne peut se faire, du moins le devinons-nous que par une organisation de caractère collectif. Mais force nous est de reconnaître que les réussites sont strictement d’ordre individuel. Toute histoire singulière, toute vie intérieure s’avère décevante, dans son impuissance à se traduire. La révélation est toujours un secret de l’âme. Et cependant, on a le sentiment que certains sont allés jusqu’au bout de leur quête, et ont atteint le point de non retour, la possession d’une certitude immuable, d’une vérité ou d’une lumière, d’un absolu, immuable et éclairant, assurant à jamais la paix de l’âme.

La réalité du mythe et la quête de la Lumière

– Non, nous recevons cependant quelque chose de ceux-là mêmes qui sont murés dans leur singularité et leur réussite indicible. Nous recevons le message qu’ils nous adressent au-delà de l’apparence. Ils nous confirment, sans même le savoir, sans le savoir peut-être que notre désir de paix, que notre espoir de parvenir à la source de lumière n’est pas vain. Nous ne sommes presque tous que des êtres légers et superficiels. Cette légèreté nous interdit la plupart du temps de dépasser le cadre d’une expérience d’échec, et nous doutons alors des certitudes les plus assurées de la tradition.

– Merveilleux effort humain pour dire l’indicible.

L’œuvre témoigne, qu’on le veuille ou non, et elle témoigne de la Vérité, de l’Existence, de l’Être peu importe le nom que l’on donne à ce qui est au-delà d’elle-même qui lui assure sa place dans le monde et l’intègre dans l’universel.

II n’y a pas d’œuvre, on le sait bien, sans une soumission étroite aux lois qui conditionnent l’existence. Ce qui est créé, ce qui existe, être ou œuvre est l’expression de l’indicible, de « l’informulable », de l’inaccessible, l’absolu, la Raison des choses, la réalité. Il est très difficile de traduire ce sentiment de l’existence, et je crois bien que tous les malentendus concernant Dieu viennent de là.

En fait, toute œuvre, depuis le simple fait d’exister pour un être, jusqu’à l’élaboration de la plus complexe architecture sociale, ou de la plus parfaite théorie de la connaissance, tout ce qui apparaît, exprime d’une manière sans doute enveloppée, certainement confuse, ésotérique si l’on veut, mais certaine, une Vérité, qui est la Vérité.

– Oui, il est banal de formuler l’évidence selon laquelle l’apparence témoigne de la réalité, mais ce qui l’est moins c’est de se dire qu’en fait, nous ne percevons jamais, aussi loin que nous allions, que l’apparence.

Que la réalité est toujours au-delà de notre prise de conscience.

Que l’expérience fait preuve de soi, mais ne donne jamais le mot de l’énigme. Les méprises se sont accumulées au cours des siècles. De même que les expériences positives. Il faut reconnaître que le logos, dans son ambiguïté symbolique, n’a pas pu contribué à la confusion. Certes, nous ne pouvons communiquer qu’en fondant sur une convention nos relations. C’est que le signe soit aussi près que possible de la chose signifiée. Mais on sent bien que le jugement en définitive est subjectif. Comment savoir, sinon par une sorte d’adhésion affective, par un engagement de l’ordre de la foi, si les témoignages sont traduits fidèlement. Tout ce qui réussit n’est pas forcément vrai. Sans doute seront choqués ceux qui ne jurent que par l’efficacité. Mais, après tout, il y a des recettes qui sont empiriques, et qui valent bien celles dites scientifiques.

Et surtout, en Loge, le regard de l’autre, du Maître, est essentiel pour savoir si nous sommes sur le chemin.

– Le tragique de notre condition tient en cela : que nous sommes préoccupés de signes, d’apparences, mais que nous négligeons les nécessités fondamentales.

Que cherche l’homme ? Le bonheur, le salut, la puissance, la connaissance ?

Tout se passe comme si, prise dans son ensemble, l’humanité cherchait non la connaissance, mais la puissance, non la paix mais la possession, non pas l’harmonie, mais l’uniformisation. C’est au cœur de cette marche, dans la foulée de la masse aveuglée, que l’homme construit, ou cherche sa propre voie, tente de se frayer un chemin à sa convenance.

– Mais combien se laissent emporter, sans grande résistance, combien n’essayent même pas autre chose que ce qui leur est offert ? Combien pensent qu’il n’y a de salut et de vérité qu’avec la foule et dans l’unité organique de l’humanité.

– Si j’ai bien compris, vous n’êtes pas encore Maître.

Alors, comment imaginez-vous le Maître ?

– Il faut devenir homme de bien, à qui faut-il s’adresser, votre Anytos estime que l’on a pas besoin de maître

– Pour moi, le philosophe fait naître un contenu de pensée viable dans l’esprit de celui qu’il rencontre, cette image implique que le philosophe ne soit un maître instruisant un disciple sur le modèle d’une transmission de savoir. La vérité est dans l’âme de l’homme, mais il a besoin d’une aide pour l’extérioriser.

– Le Georgias nous offre plusieurs figures du maître : Georgias est un maître de rhétorique, Polos est l’élève de ce maître, et il aspire à la maîtrise. Georgias a soutenu que la maîtrise de son art lui assurait une universelle maîtrise. Le pouvoir de persuader par ses discours, celle qui fait que les hommes sont libres d’eux-mêmes et en même temps qu’ils commandent aux autres. Mais Socrate aussi est un maître, et il dénie la maîtrise des puissants. Comment comprendre tout cela ?

– Le maître se distingue du vulgaire : il fait partie des meilleurs et des plus puissants, de ceux qui s’entendent aux affaires publiques et sont courageux. À ceux-là, il appartient de gouverner les autres et d’avoir plus que les autres. Bref, un maître est un fort, qui mérite d’être chef, un dominus fait pour dominer. Le maître est donc de fait et de droit, maître dans la Cité, maître des autres. Le sens est politique, et le maître s’impose de l’extérieur sur les gouvernés, plus faibles. Le rapport est vertical : maître « de », c’est maître « sur ».

Selon Callidès, ce sont ses qualités propres qui font le maître : meilleur, plus puissant, courageux, s’entendant aux affaires publiques. Mais elles ne sont pas transparentes, sont-elles même homogènes ? On y trouve l’idée d’une force, le désir de dominer, et aussi comme un savoir, ou un savoir-faire, dans les affaires publiques.

– Le maître, donc, exerce le pouvoir – ou devrait l’exercer.

À quoi reconnaissons nous qu’un maître est un maître ? à sa prétention ? à ses discours, ou à ses actes ?

Qui le reconnaît ? ses pairs ? ceux qui lui sont soumis ? ceux qui ont besoin d’un maître pour sortir d’un état de nature où ils vivent dans la crainte permanente de perdre leur vie ? ceux qui sont par nature esclaves, voués à être dominés ?

Mais si le maître se pense dans un rapport d’extériorité, vertical, comment faire en sorte que ce rapport soit stable ? Le maître n’a-t’il aucune concurrence, malgré les superlatifs ? Et les dominés ne peuvent-ils accéder à sa place ? Seul un rapport figé par la nature et qui échapperait au temps, à l’usure de soi et du pouvoir peut poser le maître dans la stabilité. La figure du tyran qui a servi de modèle à Polos laisse entrevoir la violence, les complots, la nécessité d’actes qui maintiennent le pouvoir. Le pouvoir est toujours menacé.

Socrate interrompt cette image du «seigneur et maître» au pouvoir dans la Cité par une question intempestive : les maîtres, par rapport à eux-mêmes, sont ils gouvernants ou gouvernés ? Question si étrangère à l’image du maître que Callidès a en vue que dans un premier temps il ne la comprend même pas.

Qu’est-ce alors qu’un maître selon Socrate ?

Nous voici désormais dans une relation intérieure, de soi à soi, relation réflexive ou réfléchie : sont-ils maîtres de soi ? sont-ils maîtres d’eux-mêmes ? Que serait ce maître intérieur – magister, sans dominos ? Qu’y aurait-il à maîtriser en soi ? Magister et dominos, ce double aspect de la maîtrise révèle une tension, un risque contenu dans cette double source. En quel sens être homme c’est savoir se conduire (savoir et se conduire), savoir se déterminer, se donner des règles de conduite; en quel sens est‑ce savoir ? Quel est ce savoir ? Qui doit gouverner en moi-même ? Qui commande ? – l’âme, et à quoi commande-t’elle ? – aux désirs et aux passions liés au corps. Le maître, alors, c’est l’homme vertueux, tempérant, maître de soi et de ses passions, qui ne fait que ce qu’il veut, c’est-à-dire ce qu’il juge être bon, l’homme libre et heureux. Ce maître-là n’est pas maître tout de suite, il le devient, par l’examen et l’exercice ; c’est ce qu’accomplit l’éducation.

– Mais pour y parvenir, n’avons-nous pas besoin d’un maître – extérieur d’abord ?

Non puisque le maître en politique ne peut l’être qu’à condition de satisfaire lui-même à ces exigences : d’abord se gouverner soi-même, c’est-à-dire prendre soin, avant toute chose, de son âme, la régler, la rendre tempérante. Cette maîtrise de soi est requise de tout maître : on ne saurait commander aux autres sans se commander soi-même.

Dans notre tradition, il est dit que le maître jouit de tous ses droits maçonniques. Ce qui est important à ce grade, à mon sens, c’est le pouvoir … « potentiel » de l’Homme de n’être pas l’esclave des forces matérielles et des nécessités organiques. Il y a ceux qui attendent la Parole, … il y a ceux qui croient qu’elle est perdue définitivement et qui se lamentent, … et il y a les Maîtres qui se préparent pour la trouver.

Les Maîtres ont tous les droits. Les droits … d’assurer la bonne marche de la Loge, de respecter l’Harmonie des relations entre frères. Les droits de participer aux responsabilités, les droits de les assumer en commun, les droits de transmettre au minimum ce que nous avons reçu, les droits de comprendre, les droits de réfléchir, les droits d’agir.

La tradition nous montre la voie, universelle et éternelle. Personne n’a dit que la Maîtrise s’obtenait sans peine, personne n’a dit qu’elle était inaccessible. Nous construisons la demeure de l’Homme et d’abord, assurons nous d’être une pierre de l’édifice, une pierre utilisable, une pierre utile à l’équilibre.

Le Maître parle avec le cœur, il ne cherche pas à mettre tous les Hommes dans le même moule sous prétexte d’égalité, à endoctriner ses frères, les autres hommes, sous prétexte de fraternité, à forcer les autres à lui ressembler sous prétexte de liberté …

Le principe primordial demeure clair : ne jamais prendre d’engagement que l’on ne puisse pas tenir !

Accéder à la Maîtrise, ce n’est pas, à l’évidence, se parer d’un tablier plus ou moins somptueux …C’est au contact permanent de ses Frères, en Loge, que le Franc Maçon acquiert et développe ses vertus Maçonniques, humaines.

Oh ! bien entendu, l’œuvre n’est pas toujours grandiose ou grandiloquente, brillante ou visible mais elle sera toujours éclairante, elle aura toujours pour but d’éveiller et quelquefois de réveiller.

Réflexions finales sur la connaissance et le progrès

– Belle tradition, si ce que vous dites est vrai. Mais alors, comment pourrions nous confondre le combat spirituel et l’engagement temporel ? Et cependant, c’est la confusion ordinaire. Même les mythes perdent leur valeur de figuration, pour devenir une sorte d’histoire dont la temporalité engage la foi, et se formule en dogmes immuables. Les langages, les grands hommes, les mythes sont loin de présenter le caractère de rigueur et de permanence, dans leur signification, qu’on veut bien attribuer à la vérité dont ils sont les symboles.

– Une substitution s’opère au niveau des valeurs, substitution par laquelle le désir de puissance, la soif de posséder, de conserver et de dominer prend la place du besoin de connaître, de celui de comprendre, et d’atteindre à l’immuable vérité. Disons que le démon de l’action, et celui de la jouissance réapparaissent à un niveau où l’on pourrait admettre que l’esprit critique se révélât mieux assuré, mieux averti, et plus ferme.

– Il y a d’ailleurs, dans l’exercice même de l’esprit qui cherche, qui s’assure et qui veut prouver, une vertu que l’achèvement de la recherche, et la formulation de la preuve. Le mystère n’est pas seulement de l’être; il est encore de la plénitude, de l’accomplissement, de la gloire et de la paix de l’être. C’est bien vrai qu’il y a deux degrés dans le cheminement vers la lumière et je dirai même trois. Le premier degré c’est la contemplation des ombres sur le mur de la caverne. Le second, la vision des objets éclairés par le soleil. Quant à la rencontre du soleil, ceux qui y vont sont perdus à jamais, éblouis, aveuglés, consumés.

Mais, comment sommes nous voyants, comment nous délivrons nous de nos chaînes, comment allons nous vers cette lumière, qui finit par nous consumer ?

– Je n’en sais rien.

Nous sommes enchaînés, nous cherchons notre liberté. Voilà je crois le seul secret. Mais sommes-nous vraiment animés par cette volonté de liberté ? Ne nous résignons nous pas, pour la plupart, à notre sort ? Il est certain que le sort des mécontents, des inquiets, des curieux n’est pas enviable tant qu’ils demeurent dans leurs chaînes ; il n’est d’ailleurs pas plus heureux, quand ils s’en sont délivrés.

Où vont-ils ? Comment s’assurent-ils sur leur voie, quel but poursuivent-ils exactement ? Iront-ils jusqu’au bout de la route ?

En fait, cette recherche est vaine.

Qui nous délivre de nos chaînes ?

Tant que nous n’avons pas compris que nos chaînes constituent la preuve même que nous sommes éveillés, que nous avons commencé à cheminer vers la liberté. Sentir ses chaînes, c’est déjà être libre.

Au reste, cette quête de liberté est la seule qui ne cesse point, et peut‑être est‑ce la condition du salut. Elle est, comme le dit la parole : « une quête de soi ».

« Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas trouvé ».

Un esprit systématique est effrayant. Il développe avec la rigueur et l’aveuglement d’une mécanique puissante et sûre des principes inébranlables une fois posés. D’où un mépris du temps, de l’oubli possible, du renouvellement des êtres, des passions, et même du sommet et de la faim. Bref, c’est la négation de tout ce qui est biologique et vital dans l’homme.

Il en résulte de monstrueuses visions ‑ qui ne manquent pourtant pas de logique, mais bien de réalisme.

– Le livre V de votre République décrit à peu de choses près la société telle que la voulait Hitler, le dictateur et assassin du XXe siècle, organisée pour la conservation de son régime : société où les héros, s’accouplant librement aux femmes les plus représentatives de l’idéal de la race conquérante, les générations successives seront à même d’affiner la permanence des types et d’assurer la constance des valeurs. Rien ne viendrait alors troubler la fermeté des sentiments, la rigueur du dévouement aux chefs et aux principes, la cohésion de l’élite dominante. Or, il paraît que ce rêve a reçu un commencement d’exécution et que le résultat de cet essai fut un échec. Non tant d’ailleurs en raison du refus des individus à se prêter aux jeux sexuels de la procréation d’une race enfin supérieure, que parce que les enfants, privés d’affection, ont eu de grandes difficultés à se développer au rythme et avec l’équilibre des individus ordinaires.

C’est principalement, le démenti à votre République, démenti de la Vie aux prétentions de tout esprit systématique. Ce que vous avez conçu, c’est aussi ce que l’esprit humain est capable de vouloir et de concevoir. C’est l’extrême exigence de l’esprit fermé sur lui-même.

Mais le monde de chair est aussi exigeant que le monde de l’esprit. Il appelle au renouveau, au dépassement, aux renversements des valeurs. Quand l’esprit se fige, la chair ressuscite. Quand la chair triomphe, l’esprit souffre et renaît.

– Oui, il faut concevoir l’idéal de pureté, l’ordre et la durée, dans la liberté de la vie. La perfection n’est rien hors de l’exigence de l’être. Et l’être est fils de dieu et fils de l’homme. II n’a qu’une loi : mort et résurrection.

– Vos textes, où une perfection unique de la forme se marie à une profondeur unique de la pensée, ont résisté à l’usure du temps, ils sont toujours vivants, soyez fier d’avoir pu faire réfléchir tant de générations.

Merci Platon.

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