Le Secret Maçonnique

La Dichotomie du Secret Maçonnique: Entre Tradition et Divulgation

À entendre les profanes et notamment les journalistes dans les célèbres « marronniers », c’est le secret de Polichinelle. Les divulgations tapageuses ont commencé dès la connaissance visible de l’existence de la maçonnerie, en fait dès le début de celle-ci. Pour de nombreux francs-maçons, le secret maçonnique n’existe plus et ne doit pas exister. Dès lors, il est assez difficile de prétendre que la Franc-Maçonnerie est une société « secrète » quand on assiste depuis si longtemps à un tel déballage sur la place publique.

C’est vrai, le monde moderne n’a plus la notion du secret. Au contraire même, nous sommes dans l’ère de la transparence ; enfin, certains veulent nous le faire croire !

L’Initiation Maçonnique et le Choix Personnel

Alors, pourquoi faut-il garder le secret de l’initiation ?

Le secret maçonnique existe-t-il vraiment ?

Devenir franc-maçon n’est ni obligatoire ni une contrainte. C’est librement que ce choix, un jour, s’est imposé à nous. Nous avons ressenti le besoin de répondre à notre questionnement, à des aspirations mal formulées certes, mais bien présentes dans notre esprit et dans notre tréfonds.

Jean Mourgues écrivait : « L’homme qui a trouvé, qui a exploré un domaine particulier, qui exerce un pouvoir singulier est toujours suspect à la foule, toujours redouté par les autorités politiques, religieuses (j’ajouterais : ou obédientielles). Cet homme audacieux, solitaire, orgueilleux et vulnérable a besoin du secret, de la protection et de la compréhension de ses semblables ».

La Symbolique et l’Essence du Secret dans l’Ordre Maçonnique

Avec la symbolique maçonnique et la recherche de la vérité, le secret maçonnique est l’un des piliers même de notre Ordre. Alors, pourquoi se poser la question de le supprimer ? Est-ce un phénomène de mode ? Est-ce pour se fondre dans la société profane et disparaître ? Est-ce pour se transformer en une organisation politico-syndicale ? Est-ce, enfin, par faiblesse devant la force apparente de l’opinion et des médias ?

Depuis que les obédiences ont décidé d’extérioriser, le pouvoir apparent des francs-maçons s’est réduit comme peau de chagrin.

Les Répercussions de l’Extériorisation des Secrets Maçonniques

Depuis que les obédiences ont décidé d’extérioriser, au lieu d’exprimer réellement ce que nous sommes, c’est-à-dire la réunion d’esprits nécessairement contradictoires qui cherchent indéfiniment à se comprendre et comprendre les autres, les responsables de ces structures n’ont eu de cesse que de montrer nos petits secrets, nos symboles, nos rites et jusqu’à notre cabinet de réflexions.

Un être curieux doit pouvoir, sans grande difficulté, en se promenant dans les rayons des bibliothèques ou librairies sérieuses, trouver comment faire sa demande, les spécificités des différentes obédiences, leurs coordonnées, des explications sur nos différents rites, des divulgations d’affaires qui n’ont rien de maçonnique, mais qui démontrent, à l’évidence, la faiblesse de la démarche de certains, et même les textes des nombreux rituels. Sur Internet, on peut surfer allégrement sur des sites qui divulguent tout ou presque et jusqu’aux noms, adresses et coordonnées téléphoniques des Vénérables Maîtres et des dignitaires des obédiences.

Le Secret d’Appartenance et d’Initiation: Un Héritage à Préserver

Quand le secret existait, il prenait deux aspects : le secret d’appartenance et le secret d’initiation.

Le secret d’appartenance a son importance, mais il n’est pas toujours vital. Il faut simplement garantir notre appartenance chaque fois que cela menace notre vie sociale. Les exemples d’agression sont nombreux dans notre histoire : attaques de la religion catholique, tentative d’élimination par tous les pouvoirs autoritaires, … alors, soyons prudents !

Mais si le secret était une impérieuse nécessité pour les maçons de métier, il perdait peut-être sa véritable raison d’être au moment où la Maçonnerie devenait purement symbolique. Joseph de Maistre lui-même, après avoir vécu quelque temps dans l’Ordre, se demande « quelle était l’origine de ces mystères qui ne cachaient rien, de ces allégories qui ne représentaient rien ». Il va plus loin encore, en affirmant en 1782, que les maçons « juraient de ne pas révéler un secret qui n’existait pas ».

L’Incommunicabilité du Véritable Secret Maçonnique

S’il n’existe pas de secret maçonnique, l’apprenti ne peut craindre de subir le châtiment symbolique. En gardant sa formulation ancienne, la solennelle obligation de l’apprenti d’aujourd’hui rappelle que nous appartenons à l’une des plus anciennes sociétés qui soient, et à l’une des plus honnêtes, puisqu’elle n’est composée que d’hommes qui jurent sur leur honneur de pratiquer la vertu. Cette évocation n’a donc rien d’insensé, comme le croient certains ; elle doit au contraire demeurer dans le texte de cette obligation comme la marque même de l’engagement du Maçon.

Nous l’avons bien compris, la première racine du secret est historique.

Les Francs-Maçons dits opératifs étaient des hommes de métier, dépositaires d’un réel savoir-faire technique et métaphysique. Les règles du métier, pour n’être ni corrompues, ni détournées, devaient être tenues secrètes. Les maçons de métier avaient un grand intérêt à garder le monopole des procédés de leur profession qui étaient leur gagne-pain, et leur assuraient une place de choix parmi les ouvriers constructeurs. Les règlements consignés dans les Constitutions manuscrites prévoyaient aussi les plus grandes précautions pour prévenir la divulgation des secrets techniques. Pour se faire reconnaître, des mots, des signes et des attouchements secrets étaient et sont d’usage encore de nos jours chez tous les groupes de Compagnons.

Le Secret Maçonnique: Un Lien Symbolique et Spirituel

Bien entendu, il est aisé de comprendre la deuxième racine qui est sociologique. En pays catholiques, l’église a fréquemment condamné la Franc-Maçonnerie. De plus, le nazisme et le communisme, comme tous les totalitarismes, sont profondément allergiques à la Franc-Maçonnerie qui véhicule des messages de liberté, de tolérance et de différence. L’obsession du secret des maçons a moins de raisons d’être aujourd’hui.

Certes, le secret exprime aussi que l’amour fraternel, la sérénité, la tranquillité d’esprit et d’âme requièrent une certaine intimité.

Cette intimité n’est possible qu’à l’écart, dans des lieux réservés.

Toutefois, à mon sens, la racine la plus sérieuse est d’ordre symbolique et initiatique. L’initiation maçonnique enclenche, dans les couches les plus profondes de l’individu, un processus de perfectionnement impossible à exprimer à quelqu’un qui ne le vit pas lui-même. Tout ou presque a été révélé sur la Franc-Maçonnerie et pourtant le vrai secret de la Franc-Maçonnerie est incommunicable. C’est de l’effort, du travail, du partage communs de la symbolique et des recherches ésotériques que naissent les fraternités initiatiques qui vont bien au-delà de tous les mots : là est l’essence du seul et véritable secret maçonnique que nul, jamais, ne saura trahir.

La représentation visuelle et matérielle des symboles se prête fort bien à une méditation personnelle où les pensées pénètrent au plus profond de nous-mêmes. Lors d’un rituel, les symboles se révèlent par des actes rituels. Un rituel effectué en commun éveille tous les sens et peut agir sur les sentiments, les émotions et l’intuition de chacun. Mais la perception du rituel diffère d’une personne à l’autre et ne peut être communiquée oralement, car s’il en était ainsi la méthode ne serait plus symbolique. Cette expérience personnelle, difficile à communiquer, constitue le secret maçonnique, trop souvent mal compris.

Le Secret Maçonnique et la Tradition: Un Piler à Préserver

Le secret maçonnique, comme tout ce qui est maçonnique, est avant tout un symbole qu’il faut décoder, décrypter, intégrer. Le secret est de droit naturel, parce qu’il est le lien de confiance, base fondamentale de toute société humaine. Du moment que nous sommes sûrs, en notre conscience, que le secret maçonnique ne contient rien qui aille contre la religion ni contre la patrie, il n’appartient donc qu’au droit naturel et nous ne sommes pas obligés de le révéler à quiconque.

Quant à moi, je suis convaincu qu’il faut redonner sa valeur initiatique au secret, sinon les portes d’occident seront emportées par un vent violent profane qui balayera tout sur son passage. Nos temples, alors, ressembleront à des ruines et il faudra attendre de nouveaux chercheurs quasi archéologiques pour retrouver le sens de nos symboles et de nos rites.

En fait, il n’y a de secret que spirituel. Et c’est s’égarer que mettre ce terme sur des choses matérielles, toujours susceptibles de divulgations intéressés ou imprudentes. Seule la symbolique donne du sens à ce que les maçons font.

Le Zohar dit : « le monde n’est stable que dans le secret ». Méditons sur cette maxime avant de mettre à bas l’un des piliers fondamentaires de la Maçonnerie de tradition. Toutes les traditions comportent nécessairement une phase essentielle, celle de la transmission. Cet acte quasi magique ne peut pas s’effectuer au grand jour car il ne concerne que deux personnes, le transmetteur et le récepteur. Gageons que des transmissions existent et perdureront. Dans des périodes de faibles valeurs initiatiques, la transmission peut aller jusqu’à même sortir de nos Loges pour y revenir quand cela sera possible, quand le chardon refleurira.